Devrais-je situer mon histoire avec le cancer en 1974? Car ce ne fut alors qu’un kyste sans gravité au sein droit.
Seulement en 2012, soit près de quarante ans plus tard, tel un volcan endormi, cette cicatrice s’est réveillée. La zone est devenue inhabituellement sensible, dure, irritable. J’étais angoissée à perdre l’appétit. Au terme d’examens complexes et complémentaires, le verdict couperet est tombé. Le monstre est nommé : cancer du sein multifocal.
Lors de l’annonce, mon neveu m’accompagnait. Je lui en suis profondément reconnaissante. Pour le ménager, j’ai écouté, impassible, les yeux secs, le cœur gelé, la confirmation du diagnostic que je redoutais. Je m’étais en quelque sorte détachée de moi. J’étais une autre. Je ne vivais déjà plus. Je flétrissais à vue d’œil et passais mes nuits à errer mentalement.
Ma famille vivant loin, j’ai dû, dans un premier temps, élire domicile sur le canapé du salon du 3 1/2 du seul parent proche dans la ville. Je devais alors assumer pleinement deux rôles : j’étais cancéreuse et la garde-malade en même temps.
Avant même que je ne puisse comprendre ce qui m’arrivait, ordre fut donné d’entamer les soins sans délai. Peu en importait les stades et les grades, l’important, c’était que la pieuvre était en moi. Jusqu’où allaient ses tentacules? Ce n’était même plus mon problème.
J’ai commencé les soins en chimiothérapie dans un état second, physiquement affaiblie après avoir parcouru, en deux mois et demi, le plus long marathon qu’il fut jamais donné à un être humain de courir, mais psychologiquement déterminée à assumer à fond le rôle défiant de garde-malade que j’étais aussi appelée à jouer.
J’engageais la guerre contre ce grand inconnu sans domicile fixe. J’étais juste hantée par les échos des phrases assassines traduisant l’inhumaine indifférence et le cynisme abjecte de ce proche bon connaisseur qui répétait constamment que même en Amérique du Nord, le cancer du sein était la plus grande cause de décès chez les femmes. Si j’étais donc condamnée, j’entendais me battre de mon mieux avant de devoir déposer les armes. Après quatre mois d’agonie dans la solitude, j’avais compris que la meilleure façon était d’en rire. Rire du cancer, rire du monde, rire de moi, rire pour rire. Quel poids à porter!
C’est en route pour la Fondation Virage que le hasard de l’arrêt de bus sur la rue de Champlain à Montréal m’a conduite à la Fondation québécoise du cancer. J’y suis entrée sans frapper et sans invitation et j’y ai été accueillie avec beaucoup de bienveillance. Je n’étais familière d’aucune des activités proposées mais j’ai accueilli avec bonheur la promesse de toutes les distractions à y découvrir.
J’ai ainsi eu droit à des séances de massothérapie et de kinésiologie. Justement, avant l’opération, le kinésiologue de la Fondation m’a prodigué de précieux conseils sur des exercices à faire en vue d’assouplir la zone d’opération et de faciliter une rapide récupération. Cela m’a beaucoup aidée. Je lui en suis reconnaissante.
Mais ma plus grande découverte fut celle de l’atelier d’art-thérapie que je continue de fréquenter.
Je viens aux ateliers pour me ressourcer, pour la sérénité des lieux, pour l’apaisement intérieur. J’y viens pour la douceur de la voix de Lucie, l’art-thérapeute, qui m’encourage à oser dans l’imperfection et sans complexe, tout en me laissant toujours la liberté du choix de mon médium et de mes couleurs selon mon humeur du jour. Alors que la maladie m’a fait perdre nombre de mes repères, Lucie a su me rendre fière de la plus vulgaire, la plus puérile de mes réalisations prétendument artistiques. Mais je crée sans contrainte aucune, et ça c’est important.
Très souvent, quand j’ai l’esprit perturbé et le cœur alourdi par d’interminables questionnements de mes nuits d’insomnie, quand les effets secondaires des traitements jouent leurs prolongations insidieuses, je me traîne jusqu’à l’atelier pour m’alléger de leur poids sur une toile ou un dessin aux couleurs miroir de mon âme. Et j’en pars toujours bien plus légère en dedans que je ne l’étais à l’arrivée.
De plus, la Fondation est pour moi un point de rencontre avec des « semblables » avec qui l’on partage nos vécus en peu de mots parce qu’on se comprend ainsi, liés par une communauté de sorts, et une solidarité silencieuse. Découvrir et vivre tout cela a été et reste pour moi l’un des plus beaux cadeaux d’un cheminement qui court.
La Fondation québécoise du cancer est l’un de mes espaces de défoulement, de découverte, d’expression, et de révélation de ce moi enfantin longtemps ignoré.
La possibilité que la Fondation m’offre de me vider l’esprit dans une relative douceur est le meilleur exercice de lâcher prise que je connaisse et qui me soulage profondément. J’ai l’immense privilège d’être bénéficiaire de cet espace. Je recommande avec enthousiasme à toute personne touchée par un cancer d’aller découvrir la Fondation québécoise du cancer. Vous en découvrirez les vertus calmantes. Faites-en votre exutoire, cela vous soulagera un peu de votre peine. Elle est un petit baume au cœur.